AFRIQUE - KENYA. AOÛT SEPTEMBRE 2018


Into the Wild.

Il n'est pas facile de rassembler toutes les émotions, toutes les rencontres, les imprévus, les péripéties, mais aussi tous les paysages à couper le souffle, et tous les moments vécus dans un pays comme le Kenya. Il va falloir faire le tri dans les montagnes russes émotionnelles vécues dans ce pays en deux mois et demi. Difficile de recréer à l'écrit l'intensité de ce que l'on vit ! Où l'on alterne entre émerveillement, coups de stress, rencontres de tribus au mode de vie ancestral inchangé et pistes épuisantes. Rarement l'aventure aura été aussi aventureuse ! 


Depuis un an que l'on voyage, peu d'endroits nous ont chamboulés et marqués comme le nord Kenya. Un voyage dans ces contrées arides, reculées et impredictibles n'est certainement pas de tout repos mais chaque journée y est plus marquante que la précédente.

Admirer les ombres chinoises des acacias sous un coucher de soleil dans la savane, sursauter à la vue d'un éléphant, se sentir devenir timides sous le regard fier d'une femme Samburu, éprouver la piste sableuse et caillouteuse sous un soleil brûlant, faire l'évènement au puits, solliciter l'aide des filles du village pour sortir une araignée gigantesque de la tente, rouler entre les zèbres qui détalent, croiser des caravanes de chameaux dans le désert, descendre une dune en luge, contempler le paysage hallucinogène du pays Turkana ou tomber nez à nez avec un troupeau de girafes... 

Quelle claque, et l'impression de n'avoir jamais rien vu, jamais rien vécu de pareil ! On s'est sentis tout petits, vulnérables, impressionnés, ça ne va pas être si facile à raconter ! 

On se retrouve de nouveau tous les deux à Naivasha. Ça nous fait tout drôle le premier petit déjeuner. On retrouve nos vélos au camp du lac et on a toujours l'impression qu'il manque le reste de la troupe. On est seulement à 250km de la frontière tanzanienne mais on s'envoie un petit détour de 1000km par le nord du Kenya avant de faire cap vers le Sud. C'est que le nord Kenya c'est la grande aventure de l'Afrique de l'est, un territoire où les tribus vivent un mode de vie traditionnel, où les lions se baladent dans les herbes hautes, où la piste n'épargne personne et où on fait profil bas en croisant les guerriers Turkana. On a un peu hésité avant de partir pour la grande boucle et puis on s'est dit qu'on ne sortirait pas du pays sans quelques montées d'adrénaline ! 


Peu d'infos sur le coin, on y a vraiment été à tâtons, noyés dans les informations contradictoires : "c'est hyper dangereux", "non pas de souci","moi je ne peux pas y aller sinon je vais me faire tuer", "non on vit en paix maintenant", "oui l'eau est potable", "non nous on la fait bouillir", "il y a une trêve en ce moment", "un véhicule s'est fait tirer dessus ce matin","il y a un village à 10km", "il n'y a absolument rien d'autre que de la brousse", "il y a des lions", "il y a des bandits", "c'est le désert vous n'allez pratiquement voir personne"... Tout ça en l'espace de quelques minutes, et parfois dans la bouche de la même personne. Difficile donc de prendre une décision dans ces conditions. 

On doit faire un peu de rebrousse chemin jusqu'à Nakuru sur ce qu'on a roulé avec les parents. Et nous notre caprice perso, c'est qu'on ne veut surtout pas rouler sur un chemin où on a déjà roulé. On n'est pas à l'autre bout du monde pour reprendre deux fois la même route ! Sauf que sur la carte, il n'y a pas d'autre alternative, à part l'autoroute. Alors quand le gérant du camp, nous apprend qu'il y a une route pas indiquée sur les cartes, on saute sur l'occasion. Et bien nous en a pris, c'était un véritable festival de bestioles ! On n'aurait jamais pu imaginer voir autant de girafes, aussi nombreuses, aussi près ! On leur roule pratiquement entre les pattes. Elles n'aiment pas spécialement ça, mais dès qu'elles prennent quelques mètres de distance réglementaire, elles s'arrêtent et nous regardent en hochant la tête d'un air dubitatif devant ces drôles de petits animaux surexcités. On est dans le roi Lion version vie réelle, après les girafes on croise les zèbres, les antilopes, les oryx, les babouins, toute la famille de Pumba et même Zazu ! (pour info, cet animal est un calao à bec rouge, voilà voilà !) On n'a du coup jamais fait de safari avec la jeep, le national park et tout le tintouin mais on aura vraiment vu plein d'animaux ! Et vraiment, une rencontre impromptue avec un animal sauvage du haut de son vélo ça fait quand même quelque chose ! 


Par contre on sent que la route est moins empruntée, c'est aussi le festival des mouches et des moustiques, de la tôle ondulée, des trous, des bosses, des inondations et pour finir ça passe jusqu'en haut d'un volcan. Même les locaux ne connaissaient pas cette piste. Et sur les kilomètres qu'on a passés à pousser dans les pierres on ne pouvait pas leur reprocher de préférer la route parallèle en tarmac ! 

Zazu ! (pour ceux qui connaissent leurs classiques)
Zazu ! (pour ceux qui connaissent leurs classiques)

À travers les dernières régions tribales de l'Afrique de l'est.

À Nakuru, on fait des réserves de dattes, de graines de sésame, de riz et de lentilles pour ce qui nous attend. Un mec nous a même tracé une ligne imaginaire au delà de laquelle ce serait "la fin du monde civilisé "! Alors comme on est du style à toujours avoir peur de crever de faim on a peut-être un peu chargé la mule... Et on part avec des vélos ridiculement lourds. 


La ligne droite qui nous emmène au lac Baringo nous fait effectivement changer peu à peu de monde. La végétation abondante de l'ouest se raréfie de plus en plus, le paysage devient jaune et sec, les arbustes de plus en plus rabougris et il fait de plus en plus chaud. Avec la végétation, on quitte également les Kikuyu, l'ethnie dominante au Kenya (et au pouvoir). On arrive en deux jours à Loruk, où on entre en territoire Pokot. 


C'est le jour du marché et plusieurs jeunes des tribus alentours sont descendus vendre leurs produits. Première rencontre avec les tribus du nord et franchement c'est un choc. Avant de rencontrer un Pokot en vrai, ces tribus paraissent appartenir aux documentaires National Geographic. Et là soudainement, au milieu de la brousse, on est tous les deux, tout seuls avec nos vélos, au milieu des Pokot. Très différents des Kenyans des villes, les Pokot sont plus élancés, plus minces. Leur regard est impressionnant, fier et dur. Ils nous toisent sans nous adresser un mot, avec ce regard qui vous transperce. Ils portent des pagnes aux couleurs chatoyantes, des parures de perles, le couteau à la ceinture, parfois des lances et des chapeaux décorés de plumes d'autruche. Aucun homme ne se déplace sans son bâton et sans son... tabouret. 

Il faut dire que les Pokot peuvent marcher des kilomètres chaque jour et au moment de la pause, s'assoient à l'ombre d'un arbre en utilisant ce tabouret. Pratique, surtout considérant le nombre d'épines sur le sol par ici ! (nos pneus s'en souviennent...) 


Les Pokot vivent peu en communauté ou en village, mais assez isolés dans la brousse. À part ce jour de marché, nos rencontres sur la route avec les Pokot seront assez brèves, au détour d'un chemin, lorsqu'ils traversent la piste. Sinon, on les voit de loin, dans la brousse. Ils nous saluent d'un geste de la main, mais ne s'approchent pas de nous. Les adultes nous observent de loin. Les enfants partent carrément en courant à notre vue, abandonnant le troupeau de chèvres. Toutes les fois où nous avons pu briser la glace avec quelqu'un, (surtout après avoir appris des mots de salutations en langue pokot car les Pokot ne parlent ni anglais ni kiswahili) le regard dur s'est métamorphosé en large sourire. Habitués à survivre dans des conditions difficiles, les Pokot se sont forgés une réputation farouche de guerriers intrépides. En guerre depuis des années avec les tribus rivales, la vie sociale des Pokot n'est pas tendre.. Nous n'avons pas eu la permission de prendre de photos ce jour de marché, nous gardons donc pour nous ce souvenir impressionnant.

Changement de décor, dans les plaines le climat est très aride..
Changement de décor, dans les plaines le climat est très aride..
Et on a aussi croisé des chouettes panneaux pour la postérité !
Et on a aussi croisé des chouettes panneaux pour la postérité !

La bonne route s'arrête à partir de Loruk. Le soleil par contre semble de pire en pire. La piste est défoncée et grimpe. Il y a peu d'ombre. On pousse en sueur les vélos surchargés. Les kilomètres jusqu'à Churo seront difficiles. On fait des pauses comme on peut à midi, sous l'ombre clairsemée des arbustes rabougris et dès qu'on bouge, on se plante une épine dans le pied (ou pire..). Le nord Kenya à vélo ça se mérite ! Les petits shop en tôle ne vendent plus d'eau, on ressort donc le filtre à eau pour boire l'eau du lac ou des puits. L'eau ne reste pas longtemps fraîche et toute la journée on la boit chaude, comme l'eau de la douche ! Ah oui, il fait bien chaud ici ! Pour dormir, on demande à planter la tente dans les villages. Heureusement il y a toujours un jeune qui parle un peu anglais. Et les vieux sont contents de nous entendre bafouiller nos salutations en pokot. 


Près de Mugi, on arrive sur le plateau de Laïkipia, où se baladent les buffles, les lions et les éléphants. Il y a moins de monde autour de la piste et moins de petits villages de cases au loin. Dans le coin, c'est le règne du ranch XXL tenu par un fermiers blanc avec tout le personnel noir. On croise souvent des rangers armés en 4x4 qui nous mettent en garde contre les animaux sauvages. Ça les fait à moitié marrer de faire flipper les blancs becs à vélo avec les lions. Honnêtement on imagine qu'il y a peu de chance qu'on se fasse bouffer, avec tous les zèbres dodus qui galopent par ici.. Ils sont pas fous les lions !


Un jour, pendant une pause pique nique, on a quand même été gardés par des rangers qui passaient par là en moto et qui trouvaient ça complètement fou de manger à cet endroit. Ils se sont donc tapis dans les fourrés à quelques mètres de nous, mitraillettes sorties, pour surveiller qu'aucun animal ne viendrait nous bouffer pendant notre pause. À la fin du repas, ils sont juste repartis en nous sommant de ne pas nous ré arrêter sur la route..

À Kisima, on quitte les Pokot pour entrer en territoire Samburu. Également vêtus de parures de perles, couronnes et bijoux, les Samburu n'ont pourtant rien à voir avec les Pokot. Ils vivent réunis en villages. Beaucoup de Samburu sont nomades. 


La vie des différentes tribus du nord Kenya tourne effectivement principalement autour du bétail qui est leur principale source de richesse et régente la vie sociale. Ainsi pour se marier, le jeune homme devra réunir un certain nombre de têtes de bétail, selon le prix fixé pour la dotte. Traditionnellement, pour acquérir ce bétail, le jeune homme doit les voler à la tribu rivale. Les tribus du nord se battent donc depuis des années dans des combats de rivalité pour le bétail. Auparavant, à la machette, ces combats se règlent désormais en affrontements armés. Les armes de guerre, comme les mitraillettes ou autres AK47 sont facilement disponibles pas chers, en provenance des zones de conflits voisines, en particulier du sud Soudan et de la Somalie. Le conflit a pris une proportion de plus en plus importante, que le gouvernement ne parvient pas à contenir. On estime à ce jour que des centaines de Kenyans ont été tués et des dizaines de milliers blessés ou déplacés. Ces affrontements en territoire Pokot ou Samburu sont exclusivement inter ethniques et le sort de ces tribus intéressent peu l'élite de Nairobi.. 


Les Samburu nous ont paru plus faciles de contact que les Pokot puis que les Turkana. Plus de sourires, et croyez nous, ce n'est pas toujours facile de ne pas avoir envie de disparaître dans un trou de souris en traversant un village. 


Jeunes Samburu. On les appelle les "moran", ce qui signifie "guerriers". Ils portent au quotidien ces tenues et ces plumes incroyables pendant toute une période qui correspond à un rite initiatique de passage à l'âge adulte et après lequel ils pourront se marier.
Jeunes Samburu. On les appelle les "moran", ce qui signifie "guerriers". Ils portent au quotidien ces tenues et ces plumes incroyables pendant toute une période qui correspond à un rite initiatique de passage à l'âge adulte et après lequel ils pourront se marier.

On finit enfin par arriver à Maralal, où nous attend une douche plus qu'attendue ! Maralal a gagné une réputation internationale avec sa foire annuelle aux chameaux, connue pour être frénétique, chaotique, fortement alcoolisée et un peu tarée. Totalement le genre d'événements qu'on ne veut pas rater ! Mais habituellement plus tôt dans la saison, on avait fait nos plans d'itinéraire sans imaginer y participer. Alors quand on arrive à Maralal et qu'on découvre que la Camel Derby est dans dix jours, c'est la grande révision des plans. 


On avait décidé de traverser le territoire Turkana jusqu'à Marsabit puis redescendre vers le sud par Isiolo. Mais pas question de rater la derby.. Mais aller jusqu'au lac Turkana et revenir à Maralal implique un aller retour sur une des routes les plus dangereuses du pays. On avait réfléchi à une traversée alternant chargement des vélos dans les convois armés qui sillonnent la zone et pédalage sur les portions moins risquées. Mais prendre un véhicule dans cette zone coûte cher, vraiment très cher. Alors en rajoutant deux vélos chargés et un aller retour, là on explose carrément le budget.. 


On a passé plusieurs jours à Maralal à chercher des infos, essayer d'y voir plus clair et prendre une décision. Encore une fois, les infos sont contradictoires, et pas rassurantes... "Il y a des bandits", "la route est trop dangereuse", "ça ne touche pas les étrangers", "des chinois se sont fait tirer dessus deux fois le mois dernier", "demandez au plus de gens possibles car les infos ne circulent pas au delà du coin", "ne dites surtout pas aux gens où vous allez car ce sont les mêmes qui organisent les embuscades"... On se met à devenir paranos. Déjà dans Maralal, de nombreuses personnes se baladent avec la kalachnikov en bandoulière. Comment ça se passe la rencontre avec les mêmes mecs armés au milieu du désert ? Car après Maralal, c'est toujours la même problématique de combats pour le bétail entre tribus rivales, mais c'est le désert. Il y a moins d'eau potable, le lac est salé, peu de choses poussent, le sol est aride et le soleil est implacable. C'est une terre où les gens se battent pour survivre. Le banditisme a donc éclaté avec l'arrivée des armes de contrebande pas chères. La présence toute récente des chinois dans la région a rajouté de l'huile sur le feu. On a appris plus tard que ces ouvriers chinois sont en fait des prisonniers, envoyés aux travaux forcés par la Chine, en raison de la dangerosité du travail. 


Les chinois construisent des pylônes pour acheminer l'énergie d'une énorme exploitation éolienne construite par une société allemande pour exploiter les forts vents qui soufflent dans la région. 

Cette énergie ne reviendra absolument pas aux Turkana, qui vivent dans des conditions extrêmement précaires, sans eau courante, ni électricité. Laissés pour compte par le gouvernement, ils ne lui doivent rien, mais ne reçoivent absolument rien en retour. Aucune infrastructure, aucune possibilité médicale. Les Turkana vivent dans des conditions qui sont à peine celles du moyen âge et leur sort n'intéresse Nairobi que lorsqu'il faut envoyer l'armée pour calmer tout ce petit monde (à en croire un article dans un journal local, la moitié des militaires envoyés a été décimée..) 


Aucun touriste n'a cependant été blessé dans tout ça. S'en prendre à un étranger c'est amener le conflit à un niveau international, ce qui n'est apparemment pas l'intérêt des Turkana, qui ont bien assez de problèmes comme ça. Les camions chinois se font tirer dessus, mais c'est leur contenu qui intéresse. 

On en était donc à se dire qu'on allait y aller en laissant nos passeports, CB, téléphones et tout autres objets de valeur à Maralal et qu'un vol de cash pouvait tout aussi bien arriver à Nairobi, quand on a été mis en contact avec Steven.

Steven est un muzungu, un irlandais, qui vit depuis 30 ans dans le désert en communauté avec une tribu Samburu. Il a été envoyé là par l'église presbyterienne, avec sa femme, tout juste mariés, lorsqu'ils avaient 25 ans. Son but initial était d'évangéliser les esprits. Aujourd'hui, la vie de Steven c'est surtout vivre une vie communautaire avec les Samburu. Certains sont devenus chrétiens, mais la grande majorité est animiste et croie au Dieu de la montagne. Steven n'est pas le chef du village, ni le pasteur. Il ne possède rien sur cette terre. Il a construit une maison qui ne lui appartient pas, sur une parcelle qui lui a été prêtée par les anciens du village. Ses journées sont occupées à réparer les 4x4 qui appartiennent à tout le village, à creuser des puits, à planter des choux, à faire des allers retours sur la piste défoncée pour aller à la ville vendre le miel local. Steven et sa femme, Angelina, ont trois enfants qui sont ados aujourd'hui et font leurs études en pensionnat à Nairobi ou en Angleterre. Angelina a fait l'école à la maison à ses trois enfants jusqu'au collège. En plus de l'anglais, ils parlent le kiswahili, la langue dominante en Afrique de l'est, et le Samburu. Autant vous dire que cette famille est très différente des autres blancs qui vivent au Kenya. Ils vivent une vie humble, simple, pas facile. Ils nous ont vraiment impressionnés. 


Initialement on avait juste le numéro de Steven et on a échangé avec lui par textos sur ce qu'il pensait de la dangerosité de la route. Et puis il nous a lancé une énorme perche en nous disant que lui il passait à Maralal dans deux jours, qu'il irait le week-end au lac Turkana avec sa famille et qu'ensuite il repassait par Maralal et qu'au fait on était les bienvenus dans son village. On n'a pas mis longtemps à saisir l'opportunité géniale et la super chance qu'il nous offrait. 


On pensait qu'en vivant là Steven avait un peu l'immunité, mais sur le chemin il nous a appris qu'en fait il s'était fait tirer dessus deux fois. Sur la route, on a croisé plusieurs groupes de mecs avec des armes de guerre, en plein milieu du désert. Et dans le village de la zone dangereuse (à la frontière entre le territoire Samburu et Turkana) absolument tous les villageois étaient armés avec des mitraillettes. Steven nous a alors raconté mort de rire qu'il choisissait bien ses heures de passage parce qu'aux heures où les gens ont un coup dans le nez les coups partaient plus facilement. 

Femmes Samburu de la tribu dans laquelle vivent Steven et sa famille
Femmes Samburu de la tribu dans laquelle vivent Steven et sa famille

Le village Samburu où vit la famille de Steven s'appelle Tuum. C'est vraiment loin de tout, à six heures de route de Maralal, dans un paysage absolument magnifique de savane à perte de vue, sous l'ombre impressionnante de la montagne, qui selon les Samburu abritent l'âme de Dieu. Les chameaux déambulent dans les rues et la vie est très traditionnelle. La famille de Steven vit là en quasi auto suffisance. Leur électricité vient des panneaux solaires, l'eau est celle de la source, ils cuisinent beaucoup au feu de bois, parfois au gaz. L'eau chaude de la douche est chauffée au bois tous les soirs puis versée dans un seau accroché au plafond, avec une pomme de douche fixée au seau. 

Ils nous ont beaucoup inspirés. Pour nous l'isolement ultime était un peu radical, mais l'auto suffisance simple de leur vie de tous les jours nous a rajouté des idées pour nos projets futurs. 


On a passé cinq nuits à Tuum. Steven et Angelina nous ont logé dans une petite maison d'amis, rien que pour nous, avec un lit confortable, une cuisine, et même un petit salon ! C'était le grand luxe par rapport à nos habitudes et ça nous a fait tellement de bien d'être presque chez nous l'espace de quelques jours. Se faire un café en sous vêtements et le boire dans le canap, ranger les fourchettes dans un tiroir.. C'est bête mais ces petits gestes ça nous rappelle la vie de quand t'es chez toi, et ça nous a fait un moment un peu à part dans le voyage.. 

On a beaucoup appris sur la région et la vie des différentes tribus avec Steven et Angelina. C'était des discussions vraiment intéressantes et qui nous ont donné l'impression de ne pas juste traverser le coin en touristes. 

Autour de Tuum
Autour de Tuum

On a embarqué avec Steven, Angelina, leurs trois ados et trois ados Samburu dans une des Land rover des années 70 du village. On croirait une voiture tout droit sortie de Mad Max. Et on a roulé jusqu'à Loiyangalani, à travers des pistes dans le désert, que seuls Steven ou un berger Samburu sont capables de suivre tellement ça part dans tous les sens. À mesure qu'on se rapproche du lac Turkana, le paysage est de plus en plus désertique, rouge, volcanique et hallucinant. L'apparition du lac au loin est incroyable. L'eau a l'air figée et est d'une couleur turquoise incroyable. La roche est rouge et volcanique. On se croirait sur une autre planète.


Il fait très chaud sur les bords du lac, alors qu'on arrive dans la nuit. On dort en tente dans un camp à Loiyangalani. Il fait une chaleur épouvantable et heureusement un vent déchaîné qui permet de supporter la chaleur. On pense juste aux Turkana, qui vivent là depuis toujours. Jusque dans les années 90, le lac était infesté de crocodiles pouvant atteindre les 7 mètres. On nous a montré des photos et franchement sans ça on n'aurait jamais pu imaginer des animaux pareils...! Juste terrifiants ! Les Turkana se sont battus avec les crocodiles pendant des années, jusqu'à l'extermination totale des grands spécimens. Aujourd'hui c'est encore une région du monde qui abrite la plus grande concentration de crocodiles (mais de taille moyenne). 


On découvre Loiyangalani le lendemain matin. On passe des minuscules cases de paille. C'est presque impossible de croire que des familles habitent véritablement ici. Les Turkana nous font l'effet que l'on a ressenti lors de notre première rencontre avec les Pokot. On est impressionnés et intimidés. 


Lac Turkana vu du ciel (yavait pas de tour d'helico donc je vous mets une photo google images !)
Lac Turkana vu du ciel (yavait pas de tour d'helico donc je vous mets une photo google images !)
Une des voitures Mad Max de Steven
Une des voitures Mad Max de Steven
Village Turkana
Village Turkana

Les Turkana ont une tradition de guerriers depuis des siècles. Lors de la colonisation britannique, ils n'ont pas été sous l'influence des blancs car leur terre stérile n'interessait pas les anglais. Leurs traditions sont restées inchangées depuis des siècles. Ils vivent une vie nomade, calée sur les besoins en eau et en nourriture des chameaux et des chèvres. La tradition guerrière est une constituante essentielle de leur mode de vie. Le jeune garçon dans les rituels qui le conduisent à l'âge adulte est formé à devenir un guerrier. À la fois pour pouvoir se marier car la dotte est absolument exorbitante et doit être dérobée à la tribu rivale, principalement aux Pokot. Mais cette tradition du combat est aussi depuis toujours pour les Turkana un moyen de réguler leur population, sur une terre où la nourriture est peu abondante.


Contrairement à la plupart des tribus nomades du nord, le mode de vie est moins basé sur la sphère familiale et communautaire. Chaque membre de la tribu doit pouvoir subvenir seul à ses besoins et assurer seul sa survie. 

Les Turkana ont donc la réputation d'être un peuple dur, farouche, intrépide et fier. Cette réputation n'est pas usurpée et on peut vous assurer que traverser un village Turkana sous les regards de la tribu est à la fois une expérience impressionnante, intimidante et inoubliable.


Un peu à l'écart du centre du village, on rencontre deux femmes et une ado. Entre femmes, le contact est plus facile. Par contre, on n'a presque aucun mot en commun.. Les femmes Turkana, comme les femmes des autres tribus du nord, portent beaucoup de bijoux et de parures de perles. Ces bijoux ne sont pas uniquement esthétiques. Ils indiquent la place sociale de la femme qui les porte, si elle est mariée, à qui etc.. Mais les femmes Turkana ne ressemblent pas aux Samburu ou aux Pokot. Leur visage est marqué par la dureté de la vie ici. Leur regard nous rappelle celui des hommes Pokot, le regard de ceux pour qui la vie est une lutte. Les femmes Turkana n'ont pas le crâne intégralement rasé comme les Samburu mais portent des tresses très fines et une tonsure. Elles ont aussi beaucoup de piercings aux oreilles et les trous des lobes et des cartilages très écartés. À la fin du temps passé ensemble, la plus vieille des trois femmes a retiré de son cartilage la boucle d'oreille indiquant que la femme est mariée et me l'a donnée. Comment vous expliquer la fierté et l'honneur que j'ai ressenti en recevant ce bijou traditionnel tout juste sorti de son oreille ? Je pense l'avoir sortie et regardée à peu près quinze fois par jour depuis. Je ne peux pas la porter sans un petit arrangement préalable, la taille de la boucle ne convient que pour un trou super écarté...


Femmes Turkana
Femmes Turkana

On rencontre Joseph, un jeune Turkana, qui parle anglais et qui nous a appris beaucoup sur la vie de sa tribu. Il n'est jamais sorti du territoire Turkana, tout ce qu'il connaît du Kenya et de l'international c'est par internet. Son rêve c'est d'être dj ou chanter dans un groupe, mais il ne sait pas bien par où commencer.. Il n'est pas encore marié et ne sait pas si il aura assez d'argent pour se marier à une femme Turkana car la dotte est la plus chère. Marier une femme Samburu est moins cher. Mais pour un Turkana, ça ne se fait pas ! 


Joseph est habillé à l'occidentale. On lui demande pourquoi il ne s'habille pas comme les autres membres de sa tribu. Sa réponse : "parce que moi je suis civilisé, j'ai fait des études.." Il nous emmène sur les bords du lac, à un endroit où il n'y a pas de crocodiles (les gens ont très peur des crocodiles, donc ce n'est même pas la peine de demander à aller dans un coin où il y en a..)


Sur le retour, on va avec la famille de Steven au pied d'une immense dune. Ses enfants ont amené des luges pour quelques petites descentes dans le sable. On avait déjà grimpé au sommet de dunes, mais alors celle là on arrivait vraiment en haut au bord de la crise cardiaque. La pente de la dune est très raide, le sable est brûlant et il fait une température infernale. Par contre d'en haut la vue est magnifique ! Deux petits bergers Turkana qui passaient par là se prennent même au jeu. On y passe tout l'après-midi. La nuit venue, on repart vers Tuum. Steven prend quand même la peine de préciser qu'on aurait pu camper là, mais qu'une voiture s'est fait tirer dessus à cet endroit précis il y a quelques semaines... 

Avec Joseph, autour du lac Turkana. Au moment de cette photo, la température est tout simplement épouvantable, la chaleur émane même du sol.
Avec Joseph, autour du lac Turkana. Au moment de cette photo, la température est tout simplement épouvantable, la chaleur émane même du sol.
Une petite partie de la dune, au coucher du soleil. Je vous fais grâce des centaines de photos floues des descentes en luge ! (mais on les voit quand même sur la photo, les deux petits trucs verts à gauche)
Une petite partie de la dune, au coucher du soleil. Je vous fais grâce des centaines de photos floues des descentes en luge ! (mais on les voit quand même sur la photo, les deux petits trucs verts à gauche)
Steven et sa famille
Steven et sa famille

Deux jours plus tard, on est de retour à Maralal pour la camel derby, la course de chameaux (ce sont des dromadaires, mais bon). Il n'y a pas de touristes, les participants sont Pokot, Samburu, Turkana, mais également d'autres tribus du Kenya. On nous avait dit qu'il y aurait beaucoup de compétiteurs internationaux pour la course, mais nous cette année là on n'a vu personne. La course de chameaux est un évènement très prestigieux et il y a beaucoup de renommée (et d'argent) à gagner pour le vainqueur. 


C'est aussi le moment pour toutes ces tribus de se rencontrer en période de trêve. On a été étonnés de voir ces tribus rivales, en guerre depuis des siècles, participer à un événement commun dans la bonne humeur. On nous a en fait expliqué que les gens ne se détestent pas. Les combats entre eux sont rituels et vus comme le cours normal de leur existence. Peu gardent une animosité envers les autres tribus. En revanche, les gens se mélangent peu en dehors d'événements exceptionnels comme celui-ci. 


La course commence en pleine ville et est assez chaotique. Les participants sont souvent assez ivres, beaucoup tombent de leurs montures, les moins expérimentés ont du mal à les diriger donc il n'est pas rare de voir des chameaux rendus complètement fous, courir au hasard dans les rues. 


Un peu à l'écart de la course, il y a la foire. Beaucoup de gens s'y retrouvent, vendent leurs productions, boivent, mangent, dansent.. C'était un endroit vraiment sympa et où on a passé le plus clair de notre temps. Les gens étaient globalement aussi intéressés de voir nos têtes de blancs becs que nous l'étions de voir leurs parures. L'atmosphère était plus détendue que d'habitude et on a donc pu avoir plus de contact avec les gens. On a écouté les Samburu chanter et elles m'ont fait essayer plein d'énormes colliers (c'est lourd !), on a fait des selfies avec les Turkana et on a même dansé avec les Pokot ! Au début, on tournait un peu autour d'eux. Ils étaient dans un coin en train de danser et sauter. Et puis une mamie m'a prise par la main et m'a entraînée pour danser avec eux. Je crois que je n'oublierai jamais ce moment de ma vie. 

À la fin de la foire, on a repris la route à travers de nouvelles pistes éreintantes, mais parmi les plus belles de notre voyage. Une terre ocre magnifique, un ciel bleu incroyable et des acacias qui se perdent dans la savane. Souvent il n'y a pas une route, mais plein de pistes qui slalomment dans le sable entre les acacias. On y croise des autruches, des girafes et surtout on roule parmi les zèbres par milliers. Il y en a tellement qu'on a presque arrêté de les prendre en photo ! 


Le problème de ces pistes, c'est que le sable et les acacias c'est magnifique en photo mais dans les faits ça ne nous permet pas de rouler très vite. Le sable est soit compact et tassé mais en tôle ondulée à cause du passage des taxis brousse dessus, soit mou et alors là il faut pousser les vélos car vraiment ça ne roule pas. Quant aux acacias, ils laissent des épines partout.. On n'a pas beaucoup crevé pendant ce voyage grâce à nos pneus renforcés, mais pendant ce tronçon on a du avoir autant de crevaisons en une semaine qu'en un an ! 


Dans le nord du Kenya, il y a des lions en liberté. Nous on ne craint pas grand chose car on roule aux heures les plus chaudes de la journée, quand les gros chats font la sieste. Mais les zèbres, par mesure de précaution, restent souvent autour des troupeaux de chèvres. Ils savent que les hommes repoussent les lions et ils sont donc protégés. Nous n'avons pas vu un seul lion donc on ne saura jamais si ils étaient vraiment là. Mais on a quand même fait attention à ne jamais rouler à la tombée du jour. Un soir, où on voulait planter la tente à côté d'un village, comme à notre habitude, les policiers ont insisté pour qu'on dorme à l'intérieur à cause des hyènes qui rôdent la nuit, mais on n'a vu aucune hyène non plus. Par contre, on aura quand même vu un félin et pas des moindres ! Un léopard, qui a pris ses pattes à son cou en nous voyant !


On est de nouveau en territoire Samburu et on continue à croiser beaucoup de monde tout en plumes et en perles. Contrairement aux villages Pokot qui sont souvent perdus dans la brousse, loin de la route, les villages Samburu sont tout au long de notre chemin et on peut vraiment rencontrer beaucoup de gens. Les Samburu vivent beaucoup de l'élevage, principalement de chèvres et on rencontre beaucoup de bergers avec leurs troupeaux. 


On a aussi eu la chance de tomber sur un autre marché de brousse et c'est vraiment un moment exceptionnel. Loin de tout, sur une piste en sable, où les voitures ne passent pas, on croise beaucoup de gens qui marchent tous dans la même direction, emportant avec eux des chèvres, des légumes ou des tissus. On devine qu'ils vont au marché et on les suit. Cette fois-ci, contrairement au premier marché Pokot, on aimerait ramener des souvenirs de ce moment, alors on fait tout le tour du marché avec la gopro allumée. On vous partage donc quelques photos de ce marché, qui sont des captures d'écran de notre petit film. 


On arrive donc au marché. On nous explique qu'il a lieu une fois par semaine et on y vend principalement des chèvres et des tissus. Les gens sont assez interloqués de nous voir là, deux muzungus et surtout à vélo ça ne doit pas être commun. Souvent les gens arrêtent ce qu'ils sont en train de faire en nous apercevant, ils nous fixent sans rien dire complètement pétrifiés... et ensuite explosent de rire ! 



On a ensuite dû se presser pour rejoindre la frontière. Notre visa expirait bientôt.. Je vous passe donc les détails, devant la longueur de cet article ! 


Pour conclure, on a trouvé le Kenya impressionnant par sa diversité tant humaine que géographique. C'est un pays où on passe des hauts plateaux, à la savane ou au plus aride des déserts. La diversité des cultures est incroyable et les traditions de chaque tribu sont restées intactes et vivantes. C'est un pays où en quelques centaines de kilomètres on passe de Nairobi, une mégalopole à l'occidentale, aux huttes de village où les gens vivent un mode de vie autonome et loin de tout. C'est un pays absolument fascinant, où on s'est sentis bien, parfois intimidés, parfois impressionnés et qui nous a profondément marqués. 


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