Fidèles à nous-mêmes, on quitte Osh beaucoup plus tard que prévu. On part sous une chaleur éprouvante, et on s'arrête donc rapidement faire une pause, pour manger à l'ombre. On mange au bord de la route dans des stands où le repas est servi sur des bancs tables avec plein de matelas et de coussins. On adore ça, à peine le repas fini on s'y allonge pour faire la sieste ! Pas très sportive la reprise..
À ce propos, on n'a pas encore parlé de la gastronomie kirghize. Ici on n'est pas des grands fans des restos. Et pour cause, les plats proposés y sont toujours les mêmes : des laghman (nouilles frites au mouton servies dans un bouillon gras), des chachlik (brochettes de gras de mouton), des manti (raviolis de gras de mouton), des samsa (samosas au gras de mouton) et du plov (riz aux carottes et au gras de mouton). Vous l'aurez compris les kirghizes adorent le gras de mouton, c'est d'ailleurs la partie la plus recherchée chez le pauvre animal. Ici les moutons ont d'ailleurs une excroissance graisseuse en lieu et place de leur postérieur (avec même une raie des fesses).
Bref, nous dans les restos kirghizes on mange surtout du pain, des oignons et du thé.
Sur la route vers Sary Tash, on a rencontré plein de chouettes personnes.
Des petits, complètement hystériques à notre passage : on les entend de loin, par dizaines, hurler "Hellobyebye" en dévalant les hauteurs, traversant la route au mépris des voitures, manquant de se faire écraser, pour pouvoir se poster en ligne, le bras tendu, agités et fébriles, attendant que le touriste passe pour claquer dans toutes les petites mains tendues ! Adorable. Certains poussent même le talent jusqu'à courir à nos côtés sur plusieurs centaines de mètres. Les tempes palpitantes, rouges à craquer et au bord de la crise cardiaque, ils ne lâchent rien !
Ou encore une famille de vendeurs de fruits, au bord de la route, qui nous offre la pastèque que l'on venait acheter et qui va jusqu'à nous installer le chai, la nappe et les coussins pour le goûter à l'ombre.
On nous a par la suite offert du kurut (les boulettes de fromage) tout frais, puis des fleurs et enfin des cacahuètes, du pain, des fruits... Des gestes tout simples et spontanés qui nous font vraiment chaud au cœur.
La route d'abord très monotone à la sortie de Osh commence à monter en douceur, à devenir plus vallonnée, on aperçoit les premières chaînes de montagnes au loin et enfin on retrouve plus de fraîcheur à mesure que l'on monte en altitude. On a pris l'habitude de toujours demander à des nomades de planter notre tente près de leurs yourtes, on sait qu'on sera tranquilles et c'est toujours des soirées sympa et chaleureuses.
Le jour suivant, alors que l'on quitte les villages et les offrandes, le ciel bleu laisse place aux nuages, et avec eux le vent et le froid. On se prendra plusieurs fois l'orage et faute d'abri on avance, encore mouillés, dans le vent glacial.. Le matin même on était en tee-shirt, pestant contre la chaleur et l'après midi on pédale en polaire-doudoune-goretex. Au Kirghizstan, rien d'étonnant, l'amplitude thermique est souvent de 30 degrés dans la même journée !
On finit enfin par croiser un petit resto au bord de la route, où on s'arrête pour pouvoir s'abriter. Au menu mouton ou mouton. Bon, on n'a rien à manger, aucun autre resto à la ronde, ce sera mouton alors. Mais on repart l'estomac en vrac.
On continue l'après midi dans le froid et sous la pluie. Dans ces conditions, avec nos habits trempés et le sol imbibé d'eau, on n'a vraiment pas envie de planter la tente. On pousse jusqu'à un relais routier où on demande de passer la nuit. Aucun souci, on peut dormir sur le banc-table ! On est transis de froid et c'est alors vraiment la bonne nouvelle de la journée ! Une nuit au chaud, mais une courte nuit, où les voyageurs nocturnes sont obligés de pousser les décibels pour parler plus fort que la télé et où le battement de la porte défoncée, abandonnée au bon vouloir du vent nous réveille en sursaut à chaque fois que l'on fait mine de s'endormir.
Un sympathique, mais peu observateur, kirghize viendra également secouer nos sacs de couchage pour nous gratifier d'un tonitruant "welcome to Kirghizstan!"
Bref, le matin on était dans un état lamentable.
Au matin de cette courte nuit, on était vraiment malades, façon VRAIMENT malades. Intoxication alimentaire du mouton rance de la veille, tremblements, courbatures et fièvre. On n'était pas beaux à voir. On avait déjà été malades à cause de la nourriture (à peu près tous les jours, pour être exact). Mais là ça nous paralysait presque et la douleur s'étendait jusque dans le dos et les bras.
On a quand même essayé de repartir, car on ne s'était pas arrêtés loin de Sary Tash la veille.. Mais ce jour là impossible de rouler, et le compteur affiche la distance désespérante de 800m quand on s'arrête ! La route est très peu fréquentée, à part par des camions chinois transportant du gaz, on décide donc de planter la tente là pour y mourir tranquillement. Et finalement notre bonne étoile nous envoie un pick up qui nous embarque pour parcourir les derniers kilomètres jusqu'à Sary Tash. On y dormira pendant 48heures, presque ininterrompues.
Sary Tash nous est vraiment apparu comme le village du bout du monde. Sur un haut plateau glacial, entouré de sommets immenses, tu peux voir à des kilomètres à la ronde et il n'y a rien, à part ce village, entouré par les géants et les glaciers, battus par les vents, où il n'y a aucun trafic, sinon des motards qui reviennent du Pamir. On était là, un peu perdus, dans les orages, le vent et le froid, tellement malades qu'on ne sortait pas de notre lit plus de 10minutes d'un coup.
Il devait bien y avoir du trafic ici, dans ce village à la frontière de deux pays. Mais lors de notre passage, le monde s'était arrêté et on était face à la plus grande difficulté de notre voyage, celle que l'on redoutait et attendait tellement. Les montagnes du massif des Pamirs étaient là devant nous, magnifiques et terrifiantes. Et on était à la fois excités de s'élancer sur cette route mythique et en même temps pas tout à fait sûrs que ce soit à notre hauteur..
Et puis, au bout de quelques jours c'était comme dans les films de fin du monde, quand, à la fin, le vent cesse de te fouetter le visage, que la lumière revient et que tu sors de ton lit en tenant sur tes deux jambes.
Et là, d'un coup on s'est senti confiants et prêts à partir, il n'y avait plus de vent et le soleil brillait. Il n'y avait toujours personne, mais nous on roulait enfin vers le Pamir.